edito : Pas touche aux 2e et 3e piliers!

par Jan Langlo, Association de Banques Privées Suisses

Le Conseil fédéral est conscient que la croissance des dépenses de la Confédération doit de nouveau être alignée sur celle de ses recettes. Il considère qu’il faudra alléger les finances de 3 à 3,5 milliards à partir de 2027, et de 4 à 4,5 milliards par an à partir de 2030. Le 20 septembre dernier, il a défini les mesures qu’il entend prendre à cet effet. Parmi celles-ci figure une augmentation de l’impôt sur les retraits en capital des 2e et 3e piliers, censée rapporter 220 millions d’impôts supplémentaires à la Confédération dès 2028.

Pour comprendre quelle augmentation est envisagée, il faut se référer au rapport du groupe d’experts chargé du réexamen des tâches et des subventions. Celui-ci propose de fixer le taux d’imposition des retraits en capital de sorte à obtenir la même charge fiscale que sur la perception de rentes: «Les retraits en capital seraient alors convertis en une rente annuelle correspondante et ajoutés au reste du revenu [pour] obtenir le taux d’imposition» (page 55). Pour les techniciens, cela revient à appliquer aux prestations en capital de la prévoyance l’article 37 LIFD plutôt que 38 LIFD.

Cette idée est scandaleuse et contraire aux buts de la prévoyance. L’article 37 alinéa 2 LPP permet à l’assuré de demander (cas échéant avec le consentement de son conjoint ou de son partenaire enregistré) que le quart de son avoir de vieillesse lui soit versé sous la forme d’une prestation en capital. Il s’agit là d’un minimum et la majorité des caisses de pension permettent un retrait complet sous forme de capital, voire l’imposent pour les plans de prévoyance complémentaires.

L’imposition séparée et réduite d’une prestation en capital tient compte du fait que celle-ci fait alors partie de la fortune imposable du contribuable (au lieu de rester dans la caisse de pension). En outre, celui-ci supporte désormais les risques de placement et de longévité – sa caisse de pension ne lui doit plus rien. Sachant que l’allongement de l’espérance de vie et la réduction du rendement des placements forcent déjà les caisses à transférer une partie de ce rendement des actifs aux retraités, inciter les retraités à prendre une rente complète va renforcer ce transfert générationnel qui n’est pas prévu par la LPP.

Les retraits en capital sont aussi la norme dans le 3e pilier. Cela fait bientôt 40 ans que salariés et indépendants cotisent des montants plafonnés – pour éviter de trop grandes déductions fiscales – avec la promesse que cette prévoyance individuelle sera imposée au cinquième du taux ordinaire, sans être ajoutée aux autres revenus de l’année en cours. Si tout d’un coup cette promesse était révoquée et que l’imposition de ce bas de laine devait être jusqu’à quintuplée, ce serait une trahison du modèle vanté depuis des décennies. L’incitation à la prévoyance individuelle serait aussi beaucoup moins forte, avec pour corollaire un risque accru de devoir dépendre de prestations sociales.

La récente réforme de l’AVS a aussi introduit la possibilité de partir à la retraite de façon échelonnée, en trois étapes au maximum. Cela permet justement de réduire un peu son temps de travail et de toucher une partie correspondante de son avoir de vieillesse pour financer des projets personnels. Imposer ce capital comme une rente réduit fortement l’intérêt de la flexibilité qui vient d’être introduite dans la loi. Il en va de même pour ceux qui voudraient utiliser leur avoir de prévoyance pour se mettre à leur compte.

Enfin, la Constitution fédérale, à son article 108, stipule que la Confédération doit encourager «l’acquisition d’appartements et de maisons familiales destinés à l’usage personnel de particuliers». Vu le niveau élevé des prix de l’immobilier en Suisse, le retrait d’un ou plusieurs 2e ou 3e piliers est une nécessité pour l’achat de nombreuses résidences principales. Augmenter l’imposition de ces retraits irait à l’encontre de la promotion de l’accession à la propriété que prévoit la Constitution.

Il est prévu qu’une consultation publique soit lancée sur ce sujet début 2025. On verra bien alors combien d’oppositions cette idée parvient à cimenter. Au risque de lancer un parpaing dans la mare, il serait pourtant plus logique de renoncer à la possibilité de pouvoir effectuer des rachats dans le 3e pilier, la modification de l’OPP 3 prévue étant de toute façon beaucoup trop compliquée. Cela permettrait déjà à la Confédération d’éviter 100 à 150 millions de pertes de recettes fiscales par année.

 

source : https://www.allnews.ch/content/points-de-vue/pas-touche-aux-2e-et-3e-piliers