Le risque que les Chambres fédérales refusent la ratification de la Convention N° 190 de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur la violence et le harcèlement a mis en émoi toute la Suisse, à tel point que le directeur général de l’organisation est sorti de sa réserve pour interpeller les autorités suisses à ce sujet. De quoi s’agit-il?
Adoptée en 2019 et entrée en vigueur le 25 juin 2021, la Convention N° 190 vise à prévenir et éliminer la violence et le harcèlement dans le monde du travail. C’est une des nombreuses conventions adoptées par l’OIT (plus de 200 à ce jour).
Pour rappel, l’OIT a été créé après la Première Guerre mondiale (1919), et parmi ses buts et objectifs figurent la promotion du «bien commun» et l’établissement de la «justice sociale».
La plus ancienne agence spécialisée de l’ONU est aussi considérée comme la plus démocratique, étant donné qu’elle inclut, outre les États, les représentants des employeurs et des syndicats dans son fonctionnement. À ce titre, toutes les conventions et les recommandations de l’OIT font objet de concertations entre ces trois composantes avant leur adoption. C’est dire que le consensus est privilégié.
Autre particularité de l’OIT, les États parties ont l’obligation de ratifier, dans un délai de douze mois, les conventions adoptées par l’organisation et de prendre des mesures adéquates (législatives, administratives et politiques) pour leur mise en œuvre.
Autrement dit, les États membres de l’OIT n’ont pas «loisir» de refuser la ratification de telle ou telle convention. Le principe étant que, vu le fonctionnement tripartite et le consensus qui prévaut dans les prises de décision, les États sont tenus de ratifier et de mettre en œuvre les conventions (et/ou recommandations) adoptées par l’organisation. Si l’État concerné ne le fait pas ou le retarde pour quelque raison, il doit se justifier avec des arguments valables.
Dans ce contexte, la non-entrée en matière de la majorité de la Commission juridique du Conseil des États est pour le moins curieuse. La Suisse est-elle exempte de violence et de harcèlement au travail? Les élus qui ont voté la non-entrée en matière réalisent-ils dans quelle posture ils se placent? D’autant plus que les représentants d’employeurs suisses ne semblent pas s’opposer à la ratification de la Convention N° 190 et que le Conseil fédéral y est favorable.
Non seulement la Suisse doit ratifier la convention en question, mais aussi respecter et mettre en œuvre d’autres conventions de l’OIT portant entre autres sur les droits syndicaux, le salaire minimum et l’égalité salariale, la limitation de la durée du travail, la protection sociale, la sécurité et l’hygiène du travail, les droits syndicaux, etc.
Faut-il le rappeler, la Suisse a été épinglée plusieurs fois par l’OIT ces dernières années pour, entre autres, le non-respect des droits syndicaux et de la protection effective des travailleurs contre la discrimination dans l’emploi et la profession. Le fait de refuser de ratifier la Convention N° 190 ne fera que dégrader davantage sur la scène internationale l’image de la Suisse, pays qui accueille de nombreuses organisations internationales sur son sol.
auteur : Melik Özden, directeur du Centre Europe-Tiers Monde cetim.ch source : https://www.tdg.ch/chronique-internationale-la-suisse-oserait-elle-defier-loit-111283703912