Pourquoi les Luxembourgeois sont de plus en plus nombreux à quitter le Grand-Duché

Un document de recherche de la Cellule scientifique de la Chambre fait le point sur les personnes de nationalité luxembourgeoise qui se sont installées ces dernières années dans la Grande Région, en dehors des frontières du Luxembourg. Un phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur.

Le nombre de Luxembourgeois installés dans la Grande Région, hors des frontières du Grand-Duché, n’a cessé de grossir ces dernières années. Un document de recherche publié ce lundi 22 décembre et rédigé par la Cellule scientifique de la Chambre des députés ainsi que par des experts externes sollicités par le Parlement apporte des éléments de réponse sur la situation de ces Luxembourgeois vivant dans un pays limitrophe mais qui conservent leur centre de vie au Grand-Duché (travail et loisirs).

Le nombre de Luxembourgeois vivant dans la Grande Région, hors des frontières du Luxembourg, est difficile à quantifier, souligne le document de recherche, en raison de données fragmentées, hétérogènes et rarement harmonisées entre pays. Les chiffres les plus récents disponibles par région indiquent:

  • Rhénanie-Palatinat (2024): 10.796 Luxembourgeois.
  • Sarre (2020): 4.470 personnes d’origine luxembourgeoise.
  • Wallonie (2025): 8.761 Luxembourgeois (dont 3.344 qui ont uniquement la nationalité luxembourgeoise).
  • Lorraine (2022) : 4.455 personnes d’origine luxembourgeoise.

+75% de frontaliers atypiques depuis 2012

Le document de recherche s’attarde aussi sur les «frontaliers atypiques», c’est-à-dire des personnes ayant déménagé en dehors de leur pays d’origine, tout en continuant à y travailler. Un phénomène en hausse, particulièrement du côté des personnes de nationalité luxembourgeoise.

En 2024, on dénombrait 14.690 frontaliers atypiques luxembourgeois, soit 6% de l’ensemble des frontaliers vers le Luxembourg. Avec une répartition homogène entre les trois pays limitrophes du Luxembourg. Les jeunes, les célibataires et les cols blancs sont les catégories plus représentées.

Le flux des départs les plus récents se fait majoritairement désormais vers la France. Entre 2002 et 2009, les frontaliers atypiques augmentaient principalement en Allemagne, puis entre 2011 et 2015, ils s’installaient surtout en Belgique.

Depuis 2012, le nombre de frontaliers atypiques a augmenté de 75%, sous l’effet de la hausse générale de la population des frontaliers mais aussi par le fait que le travail transfrontalier a été facilité par l’augmentation de la possibilité de faire du télétravail. Un autre facteur est avancé par l’Observatoire du marché régional de l’emploi pour expliquer cette hausse du nombre de frontaliers atypiques: l’augmentation du nombre d’obtention de la nationalité luxembourgeoise par recouvrement. «Ces personnes comptabilisées comme ‘’frontaliers atypiques’’ n’ont en fait pas effectué de déménagement, mais ont simplement acquis la nationalité luxembourgeoise», souligne le document de recherche de la Cellule scientifique de la Chambre.

La crise du logement, la principale motivation pour quitter le pays

Mais pourquoi les Luxembourgeois quittent-ils le Grand-Duché? Les raisons avancées sont principalement économiques, mais pas uniquement. La motivation la plus souvent avancée pour justifier un déménagement ailleurs dans la Grande Région est le coût du logement au Grand-Duché, particulièrement élevé ces dernières années. Les partants sont également à la recherche d’un logement plus spacieux ou plus abordable. Les pays limitrophes offrent également plus aisément l’accès à la propriété. La différence du coût de la vie ou encore des événements familiaux (mariage, divorce, naissance) justifient également dans certains cas un déménagement à l’étranger. Des entretiens qualitatifs réalisés à ce sujet révèlent un sentiment d’incapacité à maintenir un niveau de vie satisfaisant au Luxembourg.

Concernant les profils socio-économiques des personnes de nationalité luxembourgeoise s’installant ailleurs dans la Grande Région, une étude datant de 2008 montre que les migrants sont relativement jeunes. Les célibataires ainsi que les personnes à bas salaires sont surreprésentés. La plupart des déménagements se sont produits à moins de 30 km des frontières du Luxembourg, avec une préférence marquée pour l’Allemagne à cette époque.

Une pression immobilière accrue dans les communes frontalières

Ces mobilités résidentielles transfrontalières ont des conséquences sociales, économiques et territoriales. Pour les personnes qui font le choix de quitter le Luxembourg pour s’installer à l’étranger, cela signifie un allongement des trajets domicile-travail, un usage accru de la voiture et des difficultés dans certains cas d’intégration dans les communes d’accueil, avec un sentiment d’injustice ou de décalage culturel. «Les partants doivent s’adapter à des territoires souvent perçus comme moins dotés en infrastructures par rapport à leur ancien lieu de résidence au Luxembourg», souligne le document de recherche. A l’opposé, les partants bénéficient d’une surface habitable plus importante.

Ces mobilités transfrontalières impactent aussi les territoires, en provoquant une pression immobilière accrue dans les communes frontalières – entraînant une hausse des prix dans les régions frontalières-, des tensions sociales, dans certains cas, liées aux différences de revenus et une transformation socio-démographique de certains villes et villages. Pour les services publics, les défis sont une scolarisation croissante d’enfants non résidents au Luxembourg et un besoin prégnant d’adapter les infrastructures de transport transfrontaliers.

Les politiques doivent être pensées à l’échelle transfrontalière

La Cellule scientifique de la Chambre souligne que pour mesurer exactement le phénomène, «il serait nécessaire de concilier les travaux au sein des cinq territoires de la Grande Région», afin d’assurer un meilleur suivi et d’identifier les enjeux principaux. Les auteurs du document de recherche recommandent également «de se doter d’outils d’observation tels que des panels d’enquêtes» pour suivre les mobilités dans le temps et de réaliser une analyse «plus englobante que celles centrées sur les seuls frontaliers atypiques».

Le rapport conclut que les politiques publiques doivent désormais être pensées à l’échelle transfrontalière, notamment en matière de logement, de transport et de gouvernance, et non plus uniquement au niveau luxembourgeois.

source : https://www.virgule.lu/luxembourg/pourquoi-les-luxembourgeois-sont-de-plus-en-plus-nombreux-a-quitter-le-grand-duche/117721794.html
auteur : Mélodie Mouzon
crédit image :