Rarement un objet de votation aura été aussi complexe et finalement flou sur ses conséquences. Deux mois pour comprendre.
Après l’échec de Prévoyance 2020 en votation en 2017, les Chambres fédérales se sont remises au travail pour réformer la prévoyance professionnelle (LPP), autrement dit le 2ᵉ pilier, où les salariés cotisent toute leur vie pour accumuler leur capital individuel de retraite.
Le Conseil fédéral et une majorité du Parlement soutiennent ce projet, tandis que la gauche et les syndicats ont lancé avec succès un référendum. Ainsi, le peuple est appelé à trancher le 22 septembre prochain sur un objet financier extrêmement compliqué.
Baisse du taux de conversion
Le premier élément de cette réforme 2024 est la baisse du taux de conversion de 6,8% à 6% pour la part obligatoire du capital de retraite. Pour les rentiers, ce n’est pas une bonne nouvelle. Par exemple, avec un capital de 100 000 francs, la rente annuelle passerait de 6800 à 6000 francs.
Modifications structurelles
Pour compenser ce manque à gagner, le Parlement a pris diverses mesures très techniques pour le commun des mortels. Il a décidé d’abaisser le montant de la déduction de coordination à 20% du salaire maximal AVS (actuellement 29 400 francs). Cette «déduction de coordination» permet de déduire dans le 2ᵉ pilier la part du salaire déjà assurée dans le cadre de l’AVS. En abaissant le seuil, cela permet aux personnes à bas salaire, ou celles travaillant à temps partiel, d’épargner davantage dans le cadre de la prévoyance professionnelle. Mais dit autrement, cela les oblige aussi à cotiser davantage.
Le Parlement a également décidé de modifier le taux de cotisations en fonction de l’âge. Actuellement, il est divisé en quatre époques: 7 % (25-34 ans), 10% (35-44 ans), 15 % (45-54 ans) et 18% (55-65 ans). La réforme ne conserve plus que deux époques à 9% (25-44 ans) et 14 % (45-65 ans). Pour faire court, les travailleurs plus jeunes cotiseront davantage et les plus âgés moins. Ces derniers seront dès lors moins chers pour leurs employeurs qui paient la moitié.
Compensation cash
Pour les personnes qui vont bientôt partir à la retraite, la baisse du taux de conversion de 6,8 à 6% sera compensée par un supplément de rente à vie. Cela concerne une génération transitoire qui s’étale sur 15 ans de manière dégressive. Pour les cinq premières années, le supplément de rente est de 2400 francs par an, pour les cinq années suivantes de 1800 francs et pour les cinq dernières années de 1200 francs. Mais ces suppléments ne seront versés que pour les personnes qui ont un avoir total de vieillesse jusqu’à 220 500 francs. Ensuite, ils seront diminués et au-dessus de 441 000 francs, il n’y en aura pas.
Plus de cotisants chez les bas revenus
La réforme de la LPP s’intéresse également aux salariés du bas de l’échelle. La réforme abaisse le revenu plancher à partir duquel on doit cotiser au 2ᵉ pilier. Ce seuil est de 22 050 francs aujourd’hui et devrait passer à 19 845 francs. En conséquence, environ 100 000 personnes supplémentaires seraient amenées à cotiser. La droite salue une mesure, «qui comble les lacunes de rente inadmissibles. En particulier, chez les femmes et les personnes à bas revenus».
1,4 milliards de cotisations en plus
Mais pour la gauche, ce n’est pas un cadeau. La droite s’intéresse d’abord à leur argent pour gonfler une «industrie financière» qui dispose déjà de 1066 milliards de francs épargnés dans le 2ᵉ pilier (fin 2022). C’est une somme colossale, qui ne cesse de gonfler au fil des ans et qui est gérée par quelque 1350 fonds de pensions.
Payer plus pour toucher moins
Pour les syndicats, cette réforme se résume à un slogan très porteur: pas question de payer plus pour toucher moins de rente! Pour eux, la baisse du seuil d’entrée dans le 2ᵉ pilier à 19 845 francs de salaire, n’améliore que «marginalement son accès». Cette générosité soudaine de la droite envers les bas revenus demeure très diluée dans le temps et la perspective lointaine d’une fabile hausse de rente: «Tandis que la baisse de revenu en raison des cotisations LPP sera quant à elle bien réelle».
Qui gagne ? Qui perd ?
Dans cette réforme, il n’est pas évident de prédire qui va gagner ou qui va perdre. Cela dépend beaucoup de la trajectoire professionnelle de chaque personne. L’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) présente sur son site une quantité de fiches pour approfondir la question. L’une d’entre elles – Qui est concerné par la réforme LPP et de quelle façon ? –modélise nombre de cas, où il est impossible de départager les gagnants et les perdants en deux camps distincts.
Ceux qui paient plus et touchent plus
L’OFAS les a répartis en trois catégories. Il y a d’abord ceux qui paieront plus de cotisations et toucheront plus de rentes (mais pas autant que ce qu’ils auront cotisé en plus). «Cette catégorie comprend en particulier les personnes dont le revenu annuel atteint au maximum 60 000 francs ou qui cumulent plusieurs emplois et dont la prévoyance professionnelle ne dépasse jamais ou que de peu le minimum légal».
Ceux qui paient moins et touchent moins
Ensuite, il y a ceux qui paieront moins de cotisations et toucheront des rentes plus basses. «Cette catégorie regroupe surtout les salariés qui ont entre 40 et 60 ans au moment de l’entrée en vigueur de la réforme, dont la prévoyance professionnelle ne dépasse jamais ou que de peu le minimum légal et qui réalisent un revenu annuel de plus de 80 000 francs durant tout leur parcours professionnel».
Ceux qui paient plus et touchent moins
Enfin, il y a ceux qui paieront davantage de cotisations et toucheront des rentes plus basses. Cette catégorie comprend «les salariés âgés de 30 ans ou moins au moment de l’entrée en vigueur de la réforme, dont la prévoyance professionnelle ne dépasse jamais ou que de peu le minimum légal et qui réalisent un revenu annuel d’au moins 75 000 francs durant tout leur parcours professionnel».
Un tiers des salariés touchés
Mais combien sont-ils de part et d’autre ? Impossible de le savoir. L’OFAS dit que la réforme a un impact sur les assurés qui sont exclusivement couverts par le régime obligatoire LPP ou tout juste au-dessus (c’est-à-dire jusqu’à un revenu de 88 2000 francs ou un peu au-dessus).
Impossible de dire combien
«Cela représente au maximum un tiers des quelque 4,6 millions d’assurés actifs dans le 2ᵉ pilier, dit l’OFAS. Il n’est pas possible de déterminer les conséquences concrètes de la réforme pour chaque cas de figure. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte, notamment le parcours professionnel, le revenu, les caisses de pension concernées et la façon dont elles réagiront à la réforme, mais aussi l’âge de la personne au moment de l’entrée en vigueur de la réforme. Ces divers éléments empêchent de déterminer le nombre de personnes concernées par la réforme».
Ce qui apparaît certain, c’est que la réforme aura peu ou quasiment pas d’impacts sur les personnes qui ont des avoirs de vieillesse élevés.
source : https://www.lematin.ch/story/votations-federales-du-22-septembre-reforme-du-2-pilier-le-casse-tete-du-siecle-pour-les-citoyens-suisses-103150337 auteur : Eric Felley