Que risquerait la prospère Suisse en rejoignant l’UE? Les Vingt-Sept, eux, ont certainement besoin de la Confédération pour une transfusion de consensus. Par Jacques Neirynck.
Lors de sa visite, le président Emmanuel Macron a distillé une formule diplomatique: «L’UE a besoin de la Suisse et je crois que la Suisse a aussi besoin de l’UE.» Ce qui signifie en termes choisis que l’économie européenne bénéficierait certainement de l’apport helvétique, mais que la Suisse n’en profiterait que probablement. C’est toute la différence entre une évidence et une croyance. Si la moitié des importations suisse viennent de l’Union européenne, en sens inverse cette dernière ne représente que 42% des exportations helvétiques. Ils ont plus besoin de nous que l’inverse.
C’est bien ce que rumine la population. En se comparant à la France voisine, les Romands comprennent qu’ils ont de meilleurs salaires et subissent moins de chômage alors que la Suisse fournit en plus du travail à 380.000 frontaliers, en important le chômage voisin.
Les Suisses disposent d’un pouvoir d’achat individuel de 40.739 euros, trois fois la moyenne européenne. Ils ont le sentiment que l’adhésion à l’UE signifierait une baisse du niveau de vie et cela suffit à en éteindre toute velléité. Comme il est impensable qu’une telle absorption puisse encore augmenter le pactole helvétique, la Suisse n’a vraisemblablement aucun intérêt à une telle aventure.
Une seule réserve porte sur la collaboration scientifique. L’UE exerça une dure pression en gratifiant la Suisse d’un statut de pays tiers associé au programme Horizon. Celui-ci est non seulement doté d’un financement considérable que la Confédération peut compenser pour les participants suisses, mais il constitue un vaste milieu de la recherche qui attire les meilleurs. On peut craindre que l’excellente place scientifique suisse ne s’étiole avec l’influence négative que cela aurait sur l’industrie de pointe et l’économie. En négociant, cela pourrait peut-être s’arranger. Malgré le Brexit, le Royaume-Uni a tout de même réintégré Horizon.
Cela ne résoudrait pas le problème. Que risquerait la Suisse en rejoignant l’UE? Mais d’abord pourquoi est-elle tellement prospère? Sans doute pour une foule de raisons qui s’accotent les unes aux autres: qualité de l’enseignement et de l’apprentissage, institutions stables, paix du travail.
En ne confiant le pouvoir à personne, la politique suisse se développe selon le même schéma que l’évolution biologique, par une combinaison de hasards et de nécessités. Jacques Neirynck
Mais cela cache peut-être une cause plus fondamentale, qui est l’esprit de la nation: la recherche du consensus qui s’incarne dans la dissolution du pouvoir entre toutes les mains et en dernière analyse dans la démocratie directe, qui est de fait une acratie. Il n’y a pas de plan directeur mais une lente dérive des décisions qui requièrent toujours l’assentiment majoritaire de la population. En ne confiant le pouvoir à personne, la politique se développe selon le même schéma que l’évolution biologique, par une combinaison de hasards et de nécessités.
Tel est l’esprit dont l’UE devrait s’imprégner mais qu’elle est incapable d’atteindre par ses propres forces, parce qu’elle ne parvient même pas à imaginer que ce soit plus efficace que des plans sur la comète et des affrontements entre egos nationalistes. Elle a donc certainement besoin de la Suisse pour une transfusion de consensus. Aurions-nous cet esprit missionnaire à disposition? Ou bien pouvons-nous comprendre qu’un échec de l’UE nous porterait préjudice?
source : https://agefi.com/actualites/acteurs/suisse-union-europeenne-le-besoin-de-lautre