Le Conseil national ne veut pas de l’initiative pour une treizième rente AVS.
Le peuple s’exprimera à nouveau sur les retraites, avec l’initiative de l’Union syndicale suisse sur l’octroi d’une treizième rente AVS. Celle-ci demande que l’ensemble des retraité·es aient droit à une rente supplémentaire par année, sur le principe du treizième salaire.
Le Conseil national en a débattu ce mercredi pendant plus de cinq heures, avant de rejeter l’initiative à 123 voix contre 67. Seule la gauche a soutenu l’initiative. La mesure coûterait 5 milliards de francs (estimation pour 2032) et représenterait 0,8% de cotisations salariales ou 1,1 point de TVA, selon le Conseil fédéral, qui s’y oppose.
«La promesse de protéger la population contre le risque de pauvreté à l’âge de la retraite n’est plus respectée. Nous vivons depuis des années une situation inacceptable, avec des personnes qui ne savent pas comment payer leurs charges, ni même comment remplir leur frigo», a déclaré le conseiller national socialiste Pierre-Yves Maillard, président de l’Union syndicale suisse.
Durant le débat, beaucoup d’élu·es de gauche ont dressé le portrait d’aîné·es vivant chichement et réfléchissant à la moindre dépense, après avoir travaillé dur toute leur vie. Certains ont mentionnés des familles venant à la rescousse de leur parents pour payer une facture, d’autres ont parlé de retraité·es qui s’isolent et renoncent à se soigner. Des chiffres ont illustré ces propos: aujourd’hui, 200 000 retraitées et retraités vivent avec un revenu inférieur au seuil de pauvreté et 100 000 autres sont juste au-dessus.
Les femmes sont particulièrement concernées. Un tiers d’entre elles ne touchent que le premier pilier et la rente médiane de l’AVS se situe à 1878 francs par mois. La socialiste Ada Marra (VD) a appelé à retrouver «un peu de solidarité intergénérationnelle», au moment où des «concitoyennes et concitoyens quittent le pays parce qu’ils n’ont pas les moyens de vivre en Suisse à leur retraite».
Prédictions alarmistes
Quant au financement, c’est une question de «priorité» et de «choix politique», a estimé le Vert Raphaël Mahaim, qui note que la question ne se pose pas lorsque le parlement accorde des milliards de francs supplémentaires à l’armée.
Pour les défenseurs·euses de la treizième rente, le 1er pilier se porte bien. «Malgré les prédictions alarmistes des partis de droite et des milieux de l’économie et de la finance, l’AVS est saine. Il s’agit de passer le cap de la génération du baby-boom et sa situation financière sera stabilisée», a affirmé la socialiste Laurence Fehlmann Rielle (GE).
La droite a dénoncé une «politique de l’arrosoir» et la «démagogie» de la gauche. «La treizième rente serait même versée aux millionnaires. Pourquoi proposer une mesure qui donne beaucoup plus à tous, mais pas assez aux pauvres? Il est plus important d’adapter les rentes à l’inflation, comme l’a décidé le parlement», a relevé l’UDC Lukas Reimann (SG).
Contre-projet indirect rejeté
La treizième rente correspond à une augmentation de 8,3% du pouvoir d’achat des retraité·es. Plusieurs élu·es ont fait remarquer que les prestations complémentaires répondent justement à l’objectif de soutenir les retraité·es les plus pauvres. «Pourquoi vouloir faire bénéficier de prestations supplémentaires l’ensemble des rentiers, y compris les 50% qui vivent très bien?» a interrogé le centriste Benjamin Roduit (VS).
En commission, un contre-projet indirect, prévoyant le versement d’une treizième rente AVS uniquement aux 40% des ménages avec les revenus les plus faibles, a été rejeté.
Ce projet aurait instauré des inégalités de traitement et s’écarte du principe de solidarité du premier pilier, selon l’élu valaisan. Son parti a lancé une initiative pour supprimer le plafonnement des rentes AVS à 150% pour les couples mariés et ainsi leur accorder une rente complète par personne.
«L’Etat social n’a fait que croître ces dernières années. Nous ne pouvons pas accepter cette politique qui fait primer les besoins sur les moyens», a déclaré pour sa part le libéral-radical Philippe Nantermod (VS), en jugeant que les actifs·ves ont contribué «de manière énorme» à l’équilibre intergénérationnel.
Le conseiller fédéral Alain Berset a admis que la question de la pauvreté à l’âge de la retraite est importante. «Mais il n’y a pas de marge de manœuvre financière pour cette initiative», a-t-il conclu en amenant à la rejeter. L’initiative sera encore examinée par le Conseil des Etats.
Au vu des élections fédérales l’année prochaine, le peuple ne sera pas appelé à se prononcer avant 2024.
source : https://lecourrier.ch/2022/12/14/la-treizieme-rente-rejetee/ auteur : Sophie Dupont